Une étrange aventure de Be et Ing (2)

Chapitre 2

4-Ing

Les héros dans les films se relèvent toujours, même après avoir effectué un nombre incalculable de cascades. Ils sont dans un état plus au moins préoccupant, mais ils se relèvent systématiquement. La réalité est un peu plus… violente. L’explosion nous souffla comme des brindilles et nous effectuâmes plusieurs roulades avant que je réussisse à m’accrocher à un objet non-identifié. Mon acte désespéré eut pour effet de ralentir notre course, mais pas de l’arrêter. Nous retombâmes brusquement sur le sol, enchainant les glissades, roulades, et toutes autres figures artistiques plus tournoyantes les unes que les autres. Je restai étalé par terre, les vêtements déchirés et parsemés de paillettes – parce que oui le sol de ce monde contient des paillettes – et les ailes légèrement roussies. Face contre terre, je remis de l’ordre dans mes pensées. Lorsque je pus faire une phrase cohérente, la première chose qui me vint fut :

-Be ?

Bon d’accord, ce n’était pas une phrase à proprement parler. Devant l’absence de réponse de cette dernière, je me relevai péniblement et secouai la tête pour faire tomber des paillettes. Elles s’agglutinèrent sur mes cils – elles sont gluantes – alors que j’observai les alentours. La première vision que j’eus de la situation fut donc, dans une pluie de paillettes, un ciel rougeâtre apocalyptique, de la fumée noire s’élevant vers le ciel, un paysage en feu, et au milieu de ce chaos, une silhouette menue, les cheveux ondulant dans le vent, Be. Magnifique. Je dus la regarder bizarrement car elle se détourna timidement. Je m’approchai d’elle :

-Tu as compris quelque chose à cette situation ?

-Non, je suis aussi perdue que toi.

Soudain, une seconde explosion retentit juste sous nos pieds. Je bondis, surpris, attrapai précipitamment la main de Be et décampai. Pas question de rester une seconde de plus sur ce champ de mines ! Malheureusement, mes jambes ne s’étaient pas encore remises de mes précédentes cascades. Elles se dérobèrent sous moi et j’entrainai Be dans ma chute.

Ma maladresse nous sauva littéralement la vie.

Une étrange aventure de Be et Ing (1)

Chapitre 1

 

 

1-Ing

Alors, je voudrais vous prévenir, ce n’est pas tous les jours qu’il m’arrive ce genre de choses. D’accord, il m’arrive d’avoir des idées bizarres. Comme la fois où j’ai voulu utiliser un lave-linge pour me téléporter. Mais, je le répète, je ne suis pas tout le temps comme ça !

C’était un après-midi comme les autres, où je me promenais d’un air enjoué (et non pas niais comme l’assure Have) dans un parc. Il faisait beau, les oiseaux chantaient en rythme « Jingle Bells the Christmas of your Death » et les enfants s’amusaient gentiment (ou pas) dans l’espace qui leur était réservé. Bref, un sentiment de plénitude avait envahi mon être tout entier et, tout ange insouciant que j’étais, alors que le vent se levait, j’en profitai pour dégourdir mes ailes.

Mauvaise idée.

Je sais que les touffes de plumes collées à mon dos n’étaient pas grandes et magnifiques comme celles d’Ithuriel. Je sais qu’elles étaient plus décoratives qu’autre chose. Cela n’empêcha pas une brusque bourrasque de vent de m’emporter comme une feuille de papier journal. Je décollai.

Une petite précision. Je suis un ange de 1 mètre 30 qui pèse 15 kilos à tout casser, alors, imaginez à quel point j’ai du mal à contrôler ma trajectoire dans un courant d’air. Pour vous donner une idée plus précise, imaginez que vous devenez tout petit, disons, de la taille d’un stylo. Imaginez qu’ensuite, quelqu’un de malintentionné branche un ventilateur devant vous et l’allume à la puissance maximale. Vous comprenez maintenant ?

Mes ailes d’ange prirent facilement le vent et je m’envolai à toute allure, empruntant une trajectoire peu enviable. Je percutai une clôture, rasai un buisson, pris de la hauteur pour en perdre brusquement, tournai sur moi-même, m’accrochai en vain aux poteaux qui longeaient la Sainte Rivière Médiévale (SRM) et plongeai la tête la première dans son eau sucrée. Oui, l’eau de la SRM est sucrée.

Ah, mais mince, je ne vous ai pas dit ! J’étais actuellement sur l’Interface. C’est une planète-sas, un peu le point d’arrivée de tous les mondes. Vous vous téléportez sans savoir où vous allez ? Boum, vous vous retrouvez sur l’Interface. Vous plongez dans un portail sans réfléchir à votre destination ? Boum, l’Interface ! Cette planète est donc assez particulière : ses lois physiques varient au cours du temps, ce qui la rend peu prévisible. Pour ne pas dire carrément pas prévisible. Elle est assez semblable à la Terre car plusieurs continents (même s’ils jouent au billard) flottent à la surface d’un océan appelé le Laïta. Ces terres sont parsemées de forêts et lézardées de lacs, rivières et fleuves. Le petit plus (ou moins selon que vous soyez suicidaire ou raisonnable) est qu’une multitude d’états-nuages volent dans l’atmosphère poudreuse de l’Interface tels des barbe à papa géantes.

Tout à mes explications, je ne vais jamais finir mon histoire ! Donc, peinant à respirer, les vêtements rendus gluant par le sucre, j’entrepris de remonter la SRM à la nage, à la force de mes (petits) bras. Mais alors que j’entamai mon effort, un oiseau me survola. Vous pensez sûrement : « un oiseau ? Mais pourquoi il nous donne ce genre de détail dont on se moque complètement ? ». Justement par ce que ce détail compte. L’oiseau en question était un Sucriard. Devinez ce que mangent les Sucriards ? Du sucre (bravo, quelle perspicacité). Et j’en étais recouvert de la tête aux pieds. Autrement dit, je faisais la cible idéale.

L’oiseau cria – pardon, sucria – et plongea droit sur moi.

 

2-Be

Bonjour, heu, je, je m’appelle Be. Je, je suis un verbe. Heu, non, pardon, je suis une petite fille de 12 ans qui porte le nom d’un verbe. Je raconte la suite de l’histoire parce que… hé bien parce que Ing est trop honteux pour poursuivre.

Le Sucriard piqua vers Ing qui, surprit, arrêta un moment de nager… et coula. Oui, il tomba comme une pierre au fond de la rivière. L’oiseau, étonné par la soudaine et originale quoiqu’ involontaire disparition de sa proie, lâcha un (su)crit de dépit et s’éloigna furieusement.

Vous vous demandez – enfin peut-être – si j’étais présente au moment de l’attaque du Sucriard. Oui, j’étais sur place et je m’étais cachée derrière un énorme sucre d’orge pour observer Ing. Enfin, non, j’avais juste entendu un bruit, hein, c’était par curiosité que je m’étais approchée, pas parce que c’était Ing !

Donc, hum, j’attendis un moment avant de m’approcher prudemment de la berge. Des bulles d’air remontaient à l’endroit où Ing avait coulé et quelque chose me disait qu’il n’allait pas réussir à remonter tout seul. Je cueillis une tige de réglisse pour la plonger dans l’eau épaisse de la SRM. L’ange utilisa la perche improvisée pour se retirer de la rivière sournoise et regagner l’herbe tendre, en sécurité. Il toussa énormément et j’eus peur qu’il ne s’étouffe mais il se reprit vite. Je l’observais en silence et lorsqu’il s’en aperçut, il désigna ses ailes :

-J’ai volé !

Je lui souris et il se détourna pour essorer ses cheveux, son tee-shirt et… je cachai mes yeux derrière mes mains. Bon sang, Ing, un peu de pudeur !

Quand il eut fini de se sécher (j’avais à peine jeté un coup d’œil, à peine), il me raconta ses exploits en vol supersonique et autres qualités super cool qu’acquéraient naturellement les anges. Je l’écoutais d’une oreille attentive. Nous nous levâmes et j’époussetai ma robe. Ing s’approcha de moi, m’offrit son bras. La suite, j’avoue que je n’ai pas vraiment tout compris.

 

3-Ing

Be à mon bras, la tige de réglisse dans l’autre, j’avais l’air carrément cool ! Mais bien sûr, comme les bons moments ne durent jamais, un énorme objet non-identifié s’écrasa à quelques mètres de nous. L’explosion souffla les sucre-d’orges, la rivière s’évapora d’un coup. Les bâtons de réglisse brûlèrent et l’herbe se consuma. Je protégeai Be comme je pus en faisant rempart avec mon corps. Nous nous étalions violemment par terre et une odeur de soufre emplit l’air.

 

À suivre…